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la crise financière : les crises se répètent

                                                                      Par Christian Chavagneux

La période de détresse peut durer des semaines, des mois, voire même des années, ou tout au contraire se concentrer sur quelques jours. Mais tout est lié à un changement d’anticipation avec le passage d’un état de confiance dans l’avenir n’existe plus ». Un beau résumé de la situation de fébrilité du système financier international depuis le début de l’année et de la période d’incertitude dans laquelle elle plonge l’économie mondiale. Si ce n’est que lorsqu’il fait ce commentaire, l’économiste américain Charles kinlebeger décrit ce qu’il appelle le « moment critique » de toutes les crises financières…du 18ème siècle à nos jours. Et pourtant son analyse reste pertinente : les soubresauts actuels de la finance se nourrissent aux mêmes chemins que les épisodes précédents d’instabilité (voir schéma).

Tout commence par une innovation
Les crises financières ont toute pour origine une innovation importante. Elle peut venir de l’économie réelle – le développement des chemins de fer au 19ème siècle ou celui d’internet au  20ème a attiré un afflux d’épargne nourrissant une bulle boursière qui a finit par éclater. Elle peut être aussi réglementaire : la libéralisation interne  et internationale des marchés financiers à partir de la fin des années 1950 a permis le développement d’une mondialisation financière marquée par un nombre important de crises internationales. L’innovation peut être enfin purement financière. Par exemple, lorsque les banques inventent de nouveaux moyens de transformer les risques qu’elles prennent en actifs pour les vendre à d’autres acteurs financiers  qui , eux-mêmes, inventent de nouvelles techniques pour découper ces actifs en tranches, les mélanger avec d’autres et les revendre à leur tour. C’est ce que l’on appelle  titrisation, et qui a joué un rôle important ces dernières années pour aboutir à la crise des subprime. Dés  qu’une innovation apparaît, elle suscite un fort engouement. Les investisseurs y voient de nouvelles opportunités de rendements élevés et la demandent, tandis que les financiers se font concurrence pour l’offrir et récupérer les commissions de gestion en même temps  qu’ils l’utilisent pour eux-mêmes comme outil  de placement. Ainsi, s’aperçoit-on jour après jour que, des banques américaines aux banques européennes en passant par la Bank of China, toutes les grands établissements du monde sont impliquées dans la crise des prêts immobiliers subprimes, comme ils l’étaient dans la crise du financement des pays du Sud dans les années 1980. Le tout dans un climat de forte opacité : les régulateurs publics ne connaissent plus le degré d’exposition au risque des banques et les banques elles-mêmes découvrent petit à petit combien elles sont engagées dans des produits risquées.
Le crédit nourrit la chaudière
Après l’innovation, le deuxième carburant essentiel de toute crise financière est le crédit. A l’heure des voitures électriques avec régulateur de vitesse, la finance internationale fonctionne encore comme une locomotive à charbon : le train n’allant jamais assez vite pour eux, les financiers empilent emprunts sur emprunts, jusqu’à la surchauffe. Non content de jouer leur argent dans les nouveaux produits du capitalisme casino, les intermédiaires financiers empruntent de l’argent pour accroitre le montant de leurs paris. Une bonne partie de l’ingéniosité financière des années 1990 et 2000 a consisté à inventer les moyens par lesquels les investisseurs peuvent emprunter le plus possible, sans que cela se voit trop – l’opacité du crédit est aussi l’un des ingrédients essentiel de toute crise - pour ne pas affoler les prêteurs.
Ceux-ci sont soit des gestionnaires d’épargne (fonds de pension, fonds souverains, compagnie d’assurance…) tentés d’entrer dans le jeu financier à la mode, soit les banques. Même dans une économie de marché financier, ces dernières continuent à jouer un rôle important, par leurs propres placements et par la façon dont elles financent les autres acteurs de la finance. C’est ainsi que se met en place ce que les économistes appellent un « accélérateur financier » qui va transformer un effet de mode en une bulle qui s’auto-entretient : l’argent prêté sert à acheter des actions, des obligations, des maisons, etc., dont les prix montent et peuvent servir de garanties pour des nouveaux prêts qui entretiennent la bulle. En cela, toute crise financière résulte d’une crise de crédit.
Le retour à la réalité
Mais il arrive toujours un moment où la réalité reprend ses droits. C’est le « moment critique » de Kindleberger, celui où la confiance dans l’avenir disparaît. Toutes les entreprises du monde n’allaient pas devenir Microsoft ou Google et la bulle boursière technologique s’est effondrée en 2000.Le prix des maisons aux Etats-Unis n’allait pas monter jusqu’au ciel : la demande de logements s’est réduite, faisant éclater la bulle immobilière en 2007. Ce retournement a réduit la valeur du patrimoine des Américains les plus pauvres incapables de rembourser leurs emprunts et la crise des crédits subprime a démarré. Quand les acteurs financiers s’aperçoivent qu’il n’y a plus rien à gagner, tout le monde veut quitter la fête en même temps. Non contente de freiner des quatre fers le crédit immobilier, les banques, incertaines sur la capacité des autres acteurs financiers à s’en remettre, ne veulent même plus prêter aux autres banques, faisant tourner la finance au ralenti. C’est ce qui se passe depuis l’été dernier. C’est le moment clé de toute crise financière. Celui où la main invisible d’Adam Smith disparait, où l’agrégation des intérêts privés ne permet pas d’assurer le fonctionnement et la stabilité des marchés. Sur les marchés boursiers, la panique se lit à l’explosion du nombre de transactions : on prend des paris frénétiques en vendant, pour éviter de trop perdre, ou en achetant, pour réaliser un beau coup, à tour de bras. Les vendeurs étant plus nombreux, les prix baissent. C’est ce qui s’est passé le lundi 21 janvier et les jours suivants avec un nombre de transactions record à la Bourse de Paris et ailleurs. Face à une crise, les investisseurs pensent qu’ils ont trop investi partout, que tous les marchés peuvent être touchés et qu’il vaut mieux détenir de l’argent liquide que des actifs financiers. Alors, ils vendent sur toutes les places du monde, par contagion. Si la panique ne se calme pas, les prix finissent par plus n’avoir aucun sens pour les financiers qui ne veulent plus alors qu’une seule chose : vendre. Mais plus personne ne veut acheter. C’est ce qui s’était passé en Indonésie en 1997. C’est ce qui s’est passé en Inde et en Corée du Sud où les autorités ont du fermer la Bourse en janvier. Le marché n’existe plus.
La nécessaire intervention publique
 Les banques et les établissements financiers étant au cœur du fonctionnement des économies, les pouvoirs publics n’aiment pas les crises financières. Instruits par l’erreur de la banque centrale américaine dont l’absence d’intervention rapide en 1929 a contribué à amplifier la crise, les banquiers centraux interviennent désormais rapidement en période de crise. Soit en fournissant de l’argent aux banquiers sous la forme de prêts d’un jour ou deux pour relancer le marché, soit en baissant le prix de l’argent, comme l’a fait la banque centrale américaine le 22 janvier, on bien les deux ensemble, comme ils le font  depuis l’été dernier. S’il le faut, les gouvernements peuvent apporter du capital aux banques en difficultés dans le cadre d’une nationalisation partielle ou totale et on commence à évoquer cette possibilité aux Etats-Unis après la folle semaine de panique bancaire du mois de mars.
A plus long terme, les autorités financières tentent d’éviter de nouvelles crises. Elles peuvent surveiller l’innovation financière et la limiter en cas de besoin, mais elles le font rarement, trop influencées qu’elles sont par les acteurs privés. Elles peuvent empêcher les banques de prendre trop de risques : elles s’y essaient dans un jeu perpétuel où les banques inventent de nouveaux moyens pour contourner les nouvelles règles. Réguler la finance est pourtant possible. Le président des États-Unis l’a bien compris qui a déclaré : « Dans le chemin qui nous fait avancer vers la création d’emplois, nous avons besoin de deux garde-fous pour éviter le retour des problèmes passés : nous devons mettre en place une stricte surveillance des banques, de la distribution des crédits et des  investissements ; nous devons mettre fin à la possibilité de spéculer avec l’argent des autres ». C’était Franklin D. Roosevelt, en mars 1933. Confronté à la gestion des conséquences de la débâcle financière de 1929, il a sévèrement encadré la finance, aux Etats-Unis, et dans le monde grâce aux accords de Bretton Woods dont son gouvernement a été l’instigateur. Qui sera le Roosevelt du 21ème siècle ?

*Source : Revue Partie double N°13 

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