Les pratiques salariales au Maroc : une approch e i n s t i t u t i o n n a l i s t e .



*SOURCE : Revue partie double n° 9. Auteurs :
-Houdaifa AMEZIANE                                                                 -Anass ELGHRASLI                                
Directeur de l’ENCG                                                                   Administrateur Doctorant
Ecole Nationale de Commerce et                                                Ecole Nationale de Commerce et
de Gestion de Tanger (MAROC).                                                de Gestion de Tanger (MAROC       


Le présent article s'inscrit dans la mouvance internaliste des institutions qui considère celles-ci comme inhérentes aux relations de productions et d'échanges entre les agents (Ménard, 1990).
Il se propose de déceler la place des institutions et des règles dans la formation du salaire au Maroc.
Dans la première partie, il sera question d'inventorier les dispositifs institutionnels (salaire minimum légal, indexation des salaires, négociation collective...) qui interviennent dans la formation du salaire au Maroc. L'observation de l'évolution des salaires en longue période ainsi que leurs comparaisons avec d'autres grandeurs économiques notamment la productivité du travail fera l'objet de la deuxième partie.
La troisième partie, enfin, présente les principales règles salariales concrètes issues d'une enquête de terrain couvrant un échantillon des entreprises industrielles marocaines.
I. Les mécanismes institutionnels de la fixation du salaire au Maroc
A. Une interprétation en termes de régulation
La théorie de la régulation (TR) a eu l'immense mérite, dès le début des années 70, de rendre compte de la dynamique économique de longue période (la croissance rapide des “Trente Glorieuses”) par phénomènes institutionnels au premier rang desquels figurent les règles de fixation des salaires, en l'occurrence la règle salariale “fordienne”, fondée sur une quasi indexation des salaires sur les gains de productivité du travail.
Les "déterminants du revenu salarial direct ou indirect" sont une des cinq composantes du “rapport salarial”, lui même étant un des rapports sociaux fondamentaux dont les “formes institutionnelles” constituent une codification (Boyer, 1986, pp.48-49). Les formes institutionnelles sont de trois types : normes morales, juridiques ou économiques ; contraintes, privées ou étatiques ; contrats, individuels ou collectifs (ibid. p.58).
B. L'arsenal institutionnel de la fixation du salaire au Maroc
a. Le salaire minimum légal
Défini par le BIT comme une somme minimale au dessous de laquelle on ne peut descendre et dont l'application est garantie par la loi, le salaire minimum légal a été institué au Maroc depuis 1936.
Le texte le régissant a été renforcé par de nombreuses modifications telles que  l'institutionnalisation de l'indexation des salaires (dahir du 31 octobre 1959), la mise en place à partir de 1962 de deux salaires minimums sectoriels : le SMAG (salaire minimum agricole garanti) pour l'agriculture et le SMIG (salaire minimum interprofessionnel garanti) applicable pour les autres secteurs d'activité, la suppression de quatre zones du salaire héritées du protectorat français en établissant un minimum salarial national uniforme en 1971 et l'amendement de la disparité du salaire minimum entre hommes et femmes en 1975.
On ne dispose pas des informations bien récentes sur le degré d'applicabilité du salaire minimum légal dans les entreprises marocaines. Un rapport de la Banque Mondiale (1994) sur le secteur privé marocain souligne que "en 1986, la moitié au moins des entreprises du secteur manufacturier et 40% des entreprises de grandes tailles (plus de 100 employés) versaient un salaire moyen inférieur au SMIG (…)
Comme dans le cas des travailleurs non qualifiés, le minimum légal coïncide avec la dominante du salaire moyen perçu par les travailleurs qualifiés dans le secteur manufacturier" (Banque  Mondiale, 1994, pp. 69-71).
b. l'indexation des salaires sur les prix
L'objectif de l'indexation des salaires est de faire répercuter toute augmentation des prix à la consommation (le seuil est de 5% au Maroc alors qu'en France, il est de 2%) sur le SMIG afin que le pouvoir d'achat de ce minimum soit préservé. Au Maroc, l'indexation des salaires proprement dite a connu une application éphémère.
Elle n'a été mise en pratique qu'à deux reprises : réévaluation du SMIG de 5 % en 1959 et 5,7 % en 1962. Ce fait a suscité le commentaire suivant de N.El Aoufi (1997, p.32) : "le SMIG ne détient pas (au Maroc) le rôle de serre-fil derrière l'indice du coût de la vie, mais celui plutôt de serre-frein dans la variabilité du salaire réel : le SMIG peut augmenter, mais loin derrière l'inflation".
c. La contractualisation collective
Bien que régies par deux textes, le dahir du 17 avril 1957 sur les conventions collectives et le dahir du 29 novembre 1960 sur la création du Conseil Supérieur des Conventions Collectives, on assiste à une pratique inerte et “peu incarnée” (El Aoufi,1992) des négociations collectives au Maroc. Seulement, une trentaine des conventions collectives ont été signées jusqu'ici. La plupart d'entre elles ont été signées au niveau des entreprises dans le cadre des “protocoles d'accord” entre les employeurs et les délégués du personnel. Soulignons que le système des conventions collectives marocain est dépourvu d'une disposition instituant l'obligation de négocier. Alors qu'en France, avec les Lois Auroux de 1982, les salaires, les classifications, le temps et l'organisation du travail doivent être annuellement négociés au sein de l'entreprise.
d. L'instauration du dialogue social
La moitié des années 90 est marquée par l'amorce d'une négociation sociale tripartite (le gouvernement, le patronat et les syndicats) baptisée “le dialogue social” : celui-ci a donné naissance à deux accords signés le 1er août 1996 et le 23 avril 2000.
Outre la revalorisation du salaire minimum de 10% au fil de chacun de ces deux accords, les partenaires sociaux se sont convenus sur quelques points importants : la régularité des sommets tripartites (deux par an), négociations décentralisées au niveau des secteurs et le suivi des résultats des négociations par un comité national. Le dernier dialogue social du 30 avril 2003 a prévu une augmentation des salaires minima de 10% étalée sur deux ans. Cette décision semble prendre en compte les revendications du patronat (CGEM) quant aux répercussions des hausses inappropriées sur la destruction de l'emploi et la compétitivité des entreprises (CMC, 2003).
II. La dynamique des salaires au Maroc
Pour mieux cerner l'évolution du salaire aussi bien légal qu'industriel et examiner si ces derniers sont gouvernés par des mécanismes institutionnels qu'on a évoqués ci-dessus ou soumis aux pulsations des marchés ( du travail et des produits), l'observation sur une période historique longue a été préconisée comme méthode. Au cours de ces quarante quatre années allant de 1956 à 2000, le salaire minimum a fait l'objet de 23 révisions à la hausse à raison d'un ajustement tous les 23 mois. Le salaire minimum est ainsi passé de 139,36 DH/mois en 1956 à 1826,24
DH en 2000, soit un coefficient multiplicateur de 13. L'analyse des statistiques nationales, à partir de 1980, comprenant les évolutions du salaire moyen et de la productivité apparente du travail dans les industries de transformations (MCI, 1999) ainsi que les taux de chômage urbain tirés des enquêtes nationales de la Direction de la Statistique a abouti aux résultats suivants (voir la graphique 1) :
1.      Une croissance du salaire moyen dans l'industrie moins rapide que celle du salaire minimum.
2.       Une évolution lente du salaire moyen industriel par rapport à la productivité apparente du travail révèle que le partage de la valeur ajoutée profite plus au facteur capital qu'au travail.
3.      Un salaire moyen dans l'industrie façonné par le chômage.
4.      Un net synchronisme entre le salaire moyen nominal et la conjoncture industrielle (El Aoufi, 1995)
III. La formation des salaires dans les entreprises industrielles marocaines : “les règles salariales au concret”
Les salaires ne sont pas des prix mais des règles, publiques ou privées, en vertu desquelles s’effectuent des versements monétaires qu'on associe au salaire. La règle salariale est un étalon ayant deux dimensions : un instrument d'évaluation du passé et un modèle de références des comportements futurs (Reynaud, 1992). En plus, elle est de type “si X alors Y” (si un employé a une ancienneté X alors il sera payé au salaire Y).
Mettre en évidence les configurations de la politique salariale de l'entreprise marocaine afin de repérer ses règles salariales dominantes, tel a été l'objectif de l'enquête menée auprès de 10 entreprises privées opérant dans le secteur d'industrie (El Ghrasli, 2001). Même si le taux de réponses est limité, il convient de noter le soin par lequel certaines entreprises ont bien voulu remplir le questionnaire qui leur a été adressé. Les principaux résultats de l'enquête se résument comme suit :
1.      Le “poste de travail” constitue une référence prépondérante pour fixer le salaire de base. La logique du poste qui traduit un modèle taylorien n'est pas adaptée à une meilleure compétitivité en environnement incertain.

2.      Au moment de l'embauche, le diplôme est un critère important de formation du salaire pour les cadres et la grille utilisée pour les carrières sert d'étalon pour les non cadres.
3.      Les grilles de salaires appliquées au cours de la carrière se basent sur la “cotation des postes” pour les cadres et du “marché des rémunérations” pour les non cadres.
4.      Les entreprises enquêtées accordent des augmentations individuelles (A.I) aux cadres et des augmentations générales (A.G) aux non cadres.
5.      Les critères utilisés pour attribuer ces augmentations montrent une prépondérance des “résultats atteints par rapport aux objectifs” pour les cadres et la “bonne exécution des tâches” pour les non cadres.
6.      Les référentiels de la politique salariale varient selon la taille de l'entreprise étudiée. Les plus grandes (1000 salariés et plus) centrent leur politique de rémunération sur leurs propres règles, les moyennes (50- 200 effectifs) combinent règles propres d'entreprise et marché des rémunérations, alors que celles de petite taille (moins de 50 effectifs) déclarent de n'avoir disposé d'aucune règle explicite.
En conclusion
On peut avancer que la détermination du salaire tient une place centrale aussi bien au niveau de la politique de GRH des entreprises qu'au niveau de la politique économique de l'Etat. Si l'entreprise cherche au travers de sa politique de rémunération à développer son capital humain et accroître sa productivité pour faire face à un environnement imprévisible et concurrentiel, l'Etat, quant à lui, fixe une politique des salaires qui tient en compte du pouvoir d'achat, le niveau d'emploi, l'attractivité de l'investissement étranger…
Pour réussir ces objectifs tant au plan micro-économique que macro-économique, une refonte des règles qui gouvernent la coordination des agents économique au travail est à notre sens une nécessité incontournable.




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